QUI Christian et NADEAU Didier
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"Territoire occupé"
Lorsque l’artiste travaille avec les habitants, des enfants notemment sur un thème aussiévocateur que le cabane, il se confronte immédiatement au sens premier de l’objet, à son usage. Habiter, créer son "chez soi", son lieu d’intimité est porteur d’une énergie formidable. La représentation de la cabane est une image forte qui parle au plus profond de nous mêmes mais vivre sa cabane y dormir notamment est un moment marquant car elle devient une expérience. Une expérience de l’intime, un moment d erepli, pls près de soi, plus loin des contingences humaines et des contraintes sociales. Construire sa cabane, c’est s’échapper du territoire des hommes pour investir et découvrir celui de la marge, de la friche, de la lisière ou du sauvage. En contact avec la terre,les arbres, le vent, la pluie... la cabane est un compromis, une recherche entre deux idées ; celles de nature et de culture. Membrane protectrice, elle doit aussi rester perméable ; pour permettre ces contacts, ces rencontres. Vivre(dans) sa cabane, c’est apprendre à se mettre en boule parfois,à ouvrir ses sens pour mieux se protéger : une expérience d ela fragilité.
À Mayotte, aux Comores, construire sa cabane est un rite social. À l’âge de la puberté, le jeune garçon appelle le "musada" : l’entre-aide, acte communautaire, il réunit tous ses amis et tous les volontaires du village pour construire sa"banga". Des piliers en bois, des cannes de bambous fendues forment la structure qui sera enduite recouverte d’un torchis ; des feuilles de palmiers tressées constitueront la toiture. On creuse une fosse où l’on mélange de la terre rouge à de la paille. De la boue jusqu’aux genoux bientôt tous les corps malaxant finiront recouverts de la couleur ocre de la terre. Le rituel de la terre, entérine le passage, la transition. Vivre dans une banga c’est "pour qu’un gars soit libre et soit responsable de sa vie, pour qu’il devienne ensuite un papa ou quelque chose comme çà"... Expression de soi, de ses envies, de ces désirs la cabane prend des habits de lumière. La Banga est un objet de désir de tentations, un piège "à fille". On attire la jeune fille par la décoration : des dessins, des couleurs, des motifs, des slogans, des invitations à l’amour, peints sur les murs extérieurs de la banga :"essyez-moi", "étoile d’amour", "banga magique", "jardin d’amour"... Les familles ont prévenu les filles de ne pas aller dans les bangas mais "les dessins nous attirent beaucoup"...dit l’une d’elle en riant. La banga est une parenthèse pour s’isoler, apprendre à vivre, se construire, vivre des amours secrètes.
Aux rosiers,une copropriété dégradée de marseille, les jeunes d’origine mahoraise et comorienne sont nombreux. Vivre son adoloescence est difficile, parfois une étape plus destructive que constructive. Certains ont déjà construit des bangas au pays mais leur transposition dans le quartier n’a jamais été faite, elle ne correspond pas aux rites sociaux d’ici. Imaginer la création de banga dans le cadre de ce quartier pose des questions inhérentes aux grands ensembles de logements sociaux : comment s’approprier son habitat dans un environnement sur densifié, commentt partager des espaces communs alors qu’ils font souvent l’objet de conflits, de tensions de la part d’une population divisée. Peut-on faire émerger des propositions culturelles différentes tout en respectant les normes ? Comment vivre ensemble et quelles en sont les conditions ?
Le centre social des Rosiers et Christian Qui, artiste paysagiste, ont commencé depuis septembre 2003, un premier travail ave les enfants de 6 à 13 ans majoritairement mahorais. Ce groupe a créé des jardins sur le domaine de la PJJ, à proximité du quartier. La confrontation à ces jeunes a permis de connaître quelques pans de cette culture et notamment de découvrir le rite des bangas.